Chapitre 3 de la Philosophie Occulte d'Agrippa

Les quatre éléments, leurs propriétés, leurs qualités, leurs mélanges

 

"Il y a quatre éléments à la base de tout ce qui est créé : le feu, la terre, l'eau, l'air."

Agrippa nous présente ici les quatre éléments qui forment une des bases de la magie naturelle de l'époque et sont encore utilisés dans de nombreux systèmes magiques aujourd'hui.

Ces éléments doivent être considérés comme un système d'analogie complet, c'est-à-dire que les quatre éléments forment un tout. Pour le mage, il est utile de ne pas considérer ces éléments indépendamment mais de comprendre les rapports existant entre eux. Tout ce qui existe dans l'univers matériel peut ainsi être considéré comme ayant une prédominance de l'un ou l'autre des éléments, chacun de ceux-ci correspondant à un ensemble de qualités et d'attributs. Pour modifier les qualités d'un objet ou d'un sujet, il suffit de modifier son équilibre élémental et inversement. Par exemple, si nous parvenons à projeter ou induire des qualités comme le mouvement, la lumière ou la transformation dans un objet, alors celui-ci se remplit de l'élément correspondant (le Feu).

Les éléments se retrouvent notamment chez les auteurs grecs. En particulier, Agrippa se réfère régulièrement à Platon, qui décrit les éléments comme des corps géométriques (solides) constitués d'un nombre variables de triangles. Selon cette approche, le cube (la terre) contient 12 triangles, l'icosaèdre (l'eau) en contient 129, l'octaèdre (l'air) 48 et le tétraèdre (le feu) 24. Platon mentionne que les triangles formant les éléments sont "d'une infinie petitesse", comme des particules d'énergie. 

"D’abord il est évident que le feu, la terre, l’eau et l’air sont des corps. Or les corps ont pour éléments des triangles d’une infinie petitesse. Ces triangles sont scalènes ou isocèles. Les scalènes engendrent en se combinant trois solides, la pyramide, l’octaèdre, l’icosaèdre ; les isocèles un seul, le cube. De ces solides dérivent les quatre corps élémentaires : le cercle est le germe de la terre, la pyramide celui du feu, l’octaèdre celui de l’air et l’icosaèdre celui de l’eau. La terre ne peut pas se transformer en une autre espèce, mais les trois autres éléments le peuvent." (Timée de Platon)

 

Reprenons le texte d'Agrippa :

"Toutes choses de ce bas monde en sont les composés non par simple juxtaposition mais par transformation et union. Lorsque les choses créées se corrompent, elles retournent à leurs éléments fondamentaux. 

Aucun des éléments perçus par les organes des sens n'est pur, ils sont tous à des degrés divers, des corps composés en constante transmutation."

Agrippa reprend ici l'idée de Platon, qui considère que l'Univers peut être divisé soit en des objets composés et simples, soit en une réalité visible et invisible.

  • Les objets qui nous entourent et sont perceptibles par nos sens sont composés. Ils peuvent se décomposer en éléments simples sous l'action de l'Amour et de la Haine (voir Empédocle). Ces deux principes antinomiques et complémentaires sont les deux polarités que nous retrouvons dans de nombreuses traditions ou systèmes (Yin/Yang, Shiva/Shakti, Soleil/Lune, Souffre/Mercure), etc.
  • Les objets invisibles sont simples et indivisibles, les archétypes. Ceux-ci sont semblables à des moules servant à confectionner des objets individualisés. L'archétype est une forme intelligible ou une forme idéale. C'est l'essence même de l'objet composé et perceptible par les sens. Cette essence est l'état le plus sublimé de l'objet, l'idéal spirituel de l'être. L’alchimie promet ainsi la perfection ou l'immortalité lorsque le Soufre et le Mercure parviennent à devenir aussi pures que leurs essences car, sous cette forme archétypale, l'altération n'est plus possible. 

Agrippa explique que toutes choses de ce monde matériel ou sensible est un corps composé des quatre éléments. Tout ce que nous percevons contient en des degrés divers les quatre éléments. Par exemple, une flamme contient une prédominance d'élément feu mais également de l'air, de l'eau et de la terre. L'idée que la matière du monde est composée et contient tous les éléments est fondamentale pour la magie ainsi que pour l'alchimie. C'est sur ce principe que repose la transformation de la matière dans l’Oeuvre.

 

"Ainsi la terre se change en boue de plus en plus liquide jusqu'à être de l'eau qui, s'épaississant de plus en plus, redevient terre. Évaporée par la chaleur, elle se change en air qui s'enflamme lorsqu'on la porte à une température élevée. Le feu éteint devient air qui, porté à une température très basse, devient terre, pierre ou soufre, comme cela est visible dans le cas de la foudre."

Se basant sur les écrits des philosophes grecs, Agrippa explique comment, en modifiant ces qualités, nous pouvons transformer les éléments les uns dans les autres :

  • L'élément terre est sec et froid.
  • En lui apportant de l'humidité, nous pouvons le transformer en eau, qui est humide et froide.
  • De même, l'eau peut devenir de l'air (humide et chaud) si nous la réchauffons.
  • L'air devient du feu (sec et chaud) lorsque nous l'asséchons.
  • Nous revenons à la terre en refroidissant le feu. En ce qui concerne l'image de la foudre qu'Agrippa mentionne pour la transformation du feu en terre, le commentaire de la traduction de Jean Servier (éd. Berg) indique qu'Agrippa faisait ici référence à une croyance populaire ancienne selon laquelle la foudre, en touchant le sol, forme des concrétions lithiques en forme de hache. La foudre peut effectivement créer des concrétions lithiques (les fulgurites ou "pierres de foudre") au contact du sol rocheux ou sablonneux mais il semble que ces fulgurites soient en forme de tubes ou de cylindres et non de hache.

Pour ce paragraphe, Agrippa se base sur la vision élémentale d'Aristote, qui a fortement influencé la pensée alchimique et magique occidentale :

Feu -> Chaud et Sec

Air -> Chaud et Humide

Eau ->Humide et Froide

Terre ->Sèche et Froide

Ces qualités élémentaires peuvent se comprendre comme suit  :

  • Sec : principe d'individualisation, de séparation et d'analyse,
  • Humide (inverse du Sec) : principe de liaison, d'union et de synthèse,
  • Chaud : principe d'activité, d'impulsion et d'énergie,
  • Froid (inverse du Chaud) : principe de passivité et de résistance.

Si nous reprenons la vision des qualités des éléments proposée par Aristote, nous pouvons donc comprendre les quatre éléments ainsi  :

Le FEU 

est un principe d'individualisation active

L'EAU 

est un principe de liaison résistante

L'AIR 

est un principe de liaison active

La TERRE 

est un principe d'individualisation résistante

 

"Platon pense que la terre est un agent universel de transmutation et que les autres éléments peuvent tous redevenir terre et parcourir le cycle de leurs états divers. On peut séparer la terre qui est contenue dans les éléments plus subtils qu'elle mais non la changer en ces éléments car elle y est dissoute ou mêlée intimement, et peut reprendre son état premier."

La traduction de Servier de ce passage semble indiquer que la terre n'est pas transmutable dans les autres éléments, ce qui est en contradiction avec ce qu'il a expliqué précédemment. En fait, cela correspond à ce que Platon a dit à ce sujet dans le Timée (cf. l'extrait ci-dessus), alors que la terre est transmutable selon Aristote. Il est probable qu'Agrippa ait ici simplement mélangé les conceptions de ces deux auteurs vu qu'il tentait de synthétiser la connaissance magique de son époque.

  

"Chaque élément a deux qualités spécifiques dont l'une lui appartient en propre et l'autre est un moyen terme de transition avec la propriété essentielle de l'élément suivant. Ainsi le feu est chaud et sec, la terre, sèche et froide, l'eau, froide et humide, l'air, humide et chaud. On peut répartir les éléments en deux groupes opposés deux à deux  :

-le feu et l'eau,

-la terre et l'air."

Les qualités de chacun des éléments nous montrent qu'il n'y a pas de coupure nette entre ces éléments : l'un découle de l'autre par modification d'une de ses qualités. Les éléments sont des dynamiques, des processus transitoires d'un état à un autre. C'est une des raisons pour lesquelles ils sont parfois représentés comme les quatre côtés d'un croix, qui devient une roue ou un cercle lorsqu'elle est mise en mouvements. La croix des éléments (le nombre 4) engendre par son mouvement le cercle de la totalité, l'achèvement de toute chose (le nombre 10). 

Les éléments opposés (feu et eau, terre et air) sont ceux qui n'ont aucune qualité commune. Ces paires d'élément forment les deux axes de la croix : l'axe vertical (s'élevant de la terre vers l'air) est notamment celui de la contraction et de la fixation (terre) ; l'axe horizontal (de l'eau au feu) est quant à lui en correspondance avec les principes de la passivité ou réceptivité (eau) et de l'activité ou émission (feu).  

 

"On peut classer encore les éléments selon un autre ordre  : ceux qui sont denses comme la terre et l'eau et ceux qui sont légers comme l'air et le feu. C'est pourquoi les Stoïciens ont appelé les éléments du premier groupe "passifs" et ceux du second "actifs". 

Dans ce système élémental, la terre et l'eau sont considérés comme plus passifs, lourds et denses. Ces deux éléments ont en commun le Froid, qui condense. Le feu et l'air sont quant à eux considérés comme plus actifs, légers et subtils. Ici, c'est le Chaud qui prédomine. 

 

"Platon donne une autre classification des éléments en attribuant à chacun trois qualités  :

-le feu a la pénétration, la faible densité, le mouvement,

-la terre a la matérialité, la densité, la stabilité.

Aux termes de cette classification, le feu et la terre sont considérés comme opposés. Les autres éléments leur empruntent ces qualités fondamentales ; l'air a deux qualités du feu, la faible densité et le mouvement et une de la terre, la matérialité. L'eau a deux qualités de la terre, la matérialité et la densité et une du feu, le mouvement.

Mais le feu est deux fois moins dense que l'air, trois fois plus mobile, quatre fois plus pénétrant. L'air est deux fois plus pénétrant que l'eau, trois fois moins dense, quatre fois plus mobile.

L'eau est donc deux fois plus pénétrante que la terre, trois fois moins dense, quatre fois plus mobile.

Ainsi le feu est à l'air ce que l'air est à l'eau, ce que l'eau est à la terre, et, inversement, la terre est à l'eau ce que l'eau est à l'air et l'air au feu.

Ces éléments sont le principe et la base de tous les corps, de leur nature, de leurs propriétés et les causes de leurs effets mystérieux.

Celui qui connaît les qualités de ces éléments ainsi que leurs mélanges peut réaliser des œuvres admirables, étonnantes, et devenir maître en magie naturelle."


Source du texte: La philosophie occulte d'Agrippa, tome 1, la Magie Naturelle, édition Berg International, trad. Servier Jean.